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Bonjour,

Pourquoi l’image nous trouble-t-elle autant ? C’est la question que je me suis posée en tombant du lit, après une nuit de rêves assurément débridés et coupables. Heureusement que je ne m’en souviens pas !


Mais avant de poursuivre, lisez les trois articles parus aujourd'hui :


C’est aussi la question qui secoue le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, à la veille de l’ouverture de sa cinquantième édition du 26 au 29 janvier. Un communiqué annonçait mercredi l’annulation de l’exposition consacrée à Bastien Vivès, après que “des menaces physiques ont été proférées” contre l’artiste. Je me souviens avoir lu sa bande dessinée sur la danse, Polina – sans éblouissement –, ainsi que Petit Paul, qu’on m’avait offert. L’auteur y croque les déboires d’un garçon affublé d’un sexe “hénaurme”, attisant les pensées lubriques de femmes plantureuses. L’ouvrage avaient déjà suscité la polémique en 2018, au point que de grandes enseignes de librairie l’avait sorti de leurs rayons. J’ai lu aussi La Décharge mentale, dans la riante collection BD Cul, peu réputée pour la délicatesse de son esprit.

Bref, j’ai lu des livres de Bastien Vivès, dont le trait potache et parfois obscène ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Mais fallait-il annuler une exposition au motif que des représentations autorisées ne sont pas “morales” ? Ou avons-nous utilement ouvert les yeux en changeant de sensibilité sur certains sujets de société, comme le viol ou l’inceste ? Ces questions qui nous déchirent, nous les posons autrement ce mois-ci dans Philosophie magazine. J’ai cependant pensé à un autre cas, celui de Sade, dont l’édition a longtemps été interdite avant que Jean-Jacques Pauvert ne fasse paraître ses œuvres complètes en 1977, préfacées par Annie Le Brun. On ne peut pas dire que La Philosophie dans le boudoir soit un texte politiquement correct, ni que l’éducation libertine de la jeune Eugénie ne se lise aujourd’hui sans sourciller. Les Cent Vingt Journées de Sodome ne sont pas moins embarrassantes, même si Sade précise : “Mon imagination a toujours été sur cela au-delà de mes moyens ; j’ai toujours mille fois plus conçu que je n’ai fait.” Dans l’exposition qu’Annie Le Brun lui a consacrée en 2014 au musée d’Orsay – Sade. Attaquer le soleil –, on pouvait d’ailleurs voir représentés un rapt par Picasso dans L’Enlèvement des Sabines, une Femme étranglée signée Cézanne, un “moine lutinant une religieuse” et même un “viol pontifical” dans une gravure du XVIIIe siècle. Et c’est un angelot au sexe presque aussi démesuré que celui de “Petit Paul” qui incarnait “le planteur d’homme ou l’arrosoir fécond”, dans une gravure anonyme conservée à la Bibliothèque nationale de France.

Alors tout cela n’est pas “bien”, mais est-ce criminel ? Ces œuvres véhiculent effectivement des représentations archaïques, voire dégradantes de nos rapports humains. S’agissant précisément de la pénalisation de l’image pédopornographique, elle a été élargie dans le cadre européen aux “images réalistes d'un enfant qui n'existe pas” et en France, en 2021, “à l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique”. Par ailleurs, tout n’est pas autorisé sous couvert de liberté d’expression, et la loi proscrit notamment l’incitation à la haine, les propos discriminatoires ou diffamatoires… et les injures, dont Bastien Vivès n’a pas été avare ! Alors faut-il aller plus loin et réviser ce qu’il est acceptable de penser, de représenter ou d’écrire ? Doit-on faire évoluer l’art dans un sens plus politique ? À vrai dire, je n’ai pas de réponse arrêtée, mais plutôt une précaution, dont je me sers comme d’un garde-fou contre les paniques morales : j’essaie toujours de me souvenir que le mot “chien” ne mord pas !

Bon week-end, 



Cédric
Enjalbert

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